Tricotez vos Dentelles !

« Une main sur la beauté du monde ; une main sur la souffrance des Hommes ; et les deux pieds dans le devoir du moment présent », cette devise pourrait être celle du deuxième forum de l’association Planète Terroir, tenu sur les territoires de Beaumes-de-Venise, Gigondas et Vacqueyras, les 26 et 27 juin dernier. Lancée par son président Dominique Chardon, elle exprime l’esprit qui soufflait alors sur les 300 participants venus de 16 pays pour penser et agir autrement face à l'uniformisation et la standardisation du monde, alors que crise alimentaire, changement climatique, érosion de la diversité biologique et culturelle nous menacent.
Du local au global : deux temps, deux espaces qui ont donné sa ligne directrice au forum. D’un côté le territoire des Dentelles de Montmirail, lieu de ces rencontres, et ses acteurs locaux – syndicats des vignerons de Beaumes-de-Venise, Gigondas et Vacqueyras, élus, agents municipaux - qui se sont ingéniés dans leur accueil à en déployer les richesses et l’humanité. De l’autre, les expériences, les combats et les recherches des dizaines de participants, du Brésil, du Bénin, du Laos, de Madagascar, de Russie, de Hongrie, d’Italie… qui ont exprimé ce qui relie les terroirs du monde, leur complexité, leurs enjeux.
Résultat de l’obstination et du travail des hommes, un terroir porte l’histoire de la société, il traduit des valeurs communes ancrées dans les mentalités collectives. Implicites pour ceux qui les vivent, elles nécessitent d’être décryptées et se lisent dans la courbe d’une vigne ou dans la plantation d’un olivier.
Les lectures de paysages proposées, durant le forum, par les universitaires d’Avignon et Aix ont ainsi permis un autre regard sur le terroir des Dentelles, montrant comment les structures spatiales interagissent avec les faits de sociétés. « Les Dentelles n’ont pas eu la chance d’avoir un Cézanne ou un Giono », a remarqué le géographe Jacques Maby, « ce sont les vignerons qui les ont inventées, ils ont bâti une harmonie entre paysage et agriculture. »
L’historienne Madeleine Ferrière a expliqué comment voir, au-delà de la nature, la création des hommes qui hors des pressions seigneuriales, faibles dans notre région, ont pu posséder des terres, les mettre en valeur et décider en commun de lois et d’une organisation collective (les Statuts). Toute une gestion communautaire qui imprègne toujours les modes de pensée d’aujourd’hui. Warren Moran, géographe néo-zélandais le confirme, le terroir « c’est un ensemble de valeur paysagères, de temporalité multiples, un paysage sur lequel se superpose plusieurs temps, le temps géologique, le modelage fait par les hommes des siècles précédents, le modelage actuel ».
Comment une mise en réseaux des terroirs du monde peut-elle apporter des réponses aux défis que vit l’humanité ? Ces deux journées ont suggéré de nombreuses propositions : outils à mettre en œuvre en commun, comme une plate forme d’échanges pour capitaliser et transmettre les expériences, travail de lobbying pour se faire entendre, création de guides de protection des terroirs …
Planète terroir a aussi le mérite, en fédérant des partenaires dans le monde entier, de permettre certaines confrontations, avec cette interrogation : comment mener réflexions et actions communes en se gardant d’uniformiser les problématiques ? Nous avons vu, par exemple, lors de l’atelier « Diversité culturelle et identités locales » qu’il est délicat de mettre sur le même plan les questions posées par un festival de musique traditionnel, créé à Madagascar, et celles que se posent les acteurs de la vie locale dans le Vaucluse. Pour les premiers la culture est envisagée dans son sens anthropologique et ils cherchent à retrouver une identité perdue, pour les seconds la culture est une production artistique.
Ces différentes perspectives se traduisent aussi dans la manière dont est perçue la notion de terroir selon les sociétés. En Europe, elle devient l’expression de la modernité, au delà d’un certain folklore ou du marketing qui s’en est emparé. Dans les pays non-occidentaux, elle peut donner l’impression de retour en arrière, comme le soulignait le représentant de petites coopératives paysannes du Laos, Sengdao Vangkeosay.
Saluées par la présence du ministre de l’agriculture et de la pêche, Michel Barnier, ces rencontres généreuses ont aussi reçu un appui très fort de l’Unesco. La prochaine étape pour le terroir des Dentelles est maintenant sa demande de classement au Patrimoine de l’humanité.

Cécile Mozziconacci, n°14, septembre/octobre 2008
photo: Christophe Grilhé

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