La Commanderie des Côtes du Rhône accueille en son sein deux éminents représentant de la culture avignonnaise

C’est dans le très bel hôtel de la Mirande que la Commanderie des Costes du Rhône a intronisé Gérard Guerre et Yvon Lambert, lors de son 397e chapitre, le 19 février dernier.

Créé en 1974 par Max Aubert pour la défense et la promotion des vins des Côtes du Rhône ainsi que de la culture vigneronne et viticole, la Commanderie intronise régulièrement des chevaliers, comme se fût le cas ce soir-là, des officiers et des commandeurs qui deviendront autant d’ambassadeurs des Côtes du Rhône de par le monde. Organisée en baronnies : Liège et Gand en Belgique, Montreux en Suisse, Québec, Drummondville et Montréal au Canada, Philadelphie aux USA et Le Palatinat en Allemagne, elle rayonne depuis le château de Suze-la-Rousse, en Drôme provençale.
Actuellement Président de la Fondation Vouland dont le musée, rue Victor Hugo, à Avignon, présente une riche collection d’arts décoratifs des XVIIe et XVIIIe siècle ainsi qu’une collection remarquable d’œuvres d’artistes - dont des peintres - provençaux du XIXe siècle, Gérard Guerre est depuis plus de quarante ans, l’antiquaire des plus belles demeures avignonnaises et de la région. Son goût parfait et sa grande culture classique ont guidés les propriétaires d’hôtels, comme celui de la Mirande par exemple, ou de maisons particulières. Il a quitté son métier cette année mais s’investit totalement dans le musée Vouland. On attend avec impatience une autre exposition du type de celle sur les miroirs qu’il nous a donné à voir l’été dernier et qui était une véritable leçon de goût.
Promoteur des vins des Côtes du Rhône et proche du monde vigneron, Gérard Guerre l’est depuis longtemps. Il a fait plier il y a quelques années l’architecte des Monuments historiques afin que de la vigne soit plantée sur le Rocher des Dom. Pour lui, culture et agriculture doivent marcher ensemble. Il s’échappe d’ailleurs souvent de son hôtel particulier avignonnais et lui préfère quelques temps la campagne. Il aime la terre, il sait la parcourir et connaît plus d’un vigneron et leur propre culture. Cette intronisation est un hommage à la sienne toute entière.

Quant à Yvon Lambert, le symbole est tout autre. Natif de Vence, c’est à Paris, New-York et plus récemment Avignon qu’il s’illustre. Galeriste et marchand d’art contemporain, il a mis en avant les artistes américains, l’art conceptuel et l’art minimal sans délaisser les artistes européens tel Miquel Barcelo auquel la Collection Lambert en Avignon et le Palais des Papes consacreront cet été 2010 une rétrospective attendue avec impatience et organisée pour fêter les 10 ans de l’existence de la collection en Avignon. Car, grand collectionneur, Yvon Lambert proposa en 2000, de mettre en dépôt 350 œuvres de sa collection personnelle, en vue d’une donation 20 ans plus tard. Le fonds est actuellement constitué de 1200 références, des années 60 à aujourd’hui et le principe d’une donation est en cours d’instruction.
10 ans après son arrivée en Avignon, c’est avec émotion qu’il a vécu cette intronisation perçue comme une reconnaissance de son appartenance dorénavant au milieu local. Amateur de vin, il a promis de mettre les Côtes du Rhône à l’honneur à New-York et lors des vernissages, dans sa galerie parisienne. Les domaines viticoles des Côtes du Rhône méridionaux et septentrionaux verront peut-être un de ses jours Yvon Lambert venir faire son marché de bonnes bouteilles.

Olivia Gazzano, paru dans le n°23 mars-avril 2010

Tricotez vos Dentelles !

« Une main sur la beauté du monde ; une main sur la souffrance des Hommes ; et les deux pieds dans le devoir du moment présent », cette devise pourrait être celle du deuxième forum de l’association Planète Terroir, tenu sur les territoires de Beaumes-de-Venise, Gigondas et Vacqueyras, les 26 et 27 juin dernier. Lancée par son président Dominique Chardon, elle exprime l’esprit qui soufflait alors sur les 300 participants venus de 16 pays pour penser et agir autrement face à l'uniformisation et la standardisation du monde, alors que crise alimentaire, changement climatique, érosion de la diversité biologique et culturelle nous menacent.
Du local au global : deux temps, deux espaces qui ont donné sa ligne directrice au forum. D’un côté le territoire des Dentelles de Montmirail, lieu de ces rencontres, et ses acteurs locaux – syndicats des vignerons de Beaumes-de-Venise, Gigondas et Vacqueyras, élus, agents municipaux - qui se sont ingéniés dans leur accueil à en déployer les richesses et l’humanité. De l’autre, les expériences, les combats et les recherches des dizaines de participants, du Brésil, du Bénin, du Laos, de Madagascar, de Russie, de Hongrie, d’Italie… qui ont exprimé ce qui relie les terroirs du monde, leur complexité, leurs enjeux.
Résultat de l’obstination et du travail des hommes, un terroir porte l’histoire de la société, il traduit des valeurs communes ancrées dans les mentalités collectives. Implicites pour ceux qui les vivent, elles nécessitent d’être décryptées et se lisent dans la courbe d’une vigne ou dans la plantation d’un olivier.
Les lectures de paysages proposées, durant le forum, par les universitaires d’Avignon et Aix ont ainsi permis un autre regard sur le terroir des Dentelles, montrant comment les structures spatiales interagissent avec les faits de sociétés. « Les Dentelles n’ont pas eu la chance d’avoir un Cézanne ou un Giono », a remarqué le géographe Jacques Maby, « ce sont les vignerons qui les ont inventées, ils ont bâti une harmonie entre paysage et agriculture. »
L’historienne Madeleine Ferrière a expliqué comment voir, au-delà de la nature, la création des hommes qui hors des pressions seigneuriales, faibles dans notre région, ont pu posséder des terres, les mettre en valeur et décider en commun de lois et d’une organisation collective (les Statuts). Toute une gestion communautaire qui imprègne toujours les modes de pensée d’aujourd’hui. Warren Moran, géographe néo-zélandais le confirme, le terroir « c’est un ensemble de valeur paysagères, de temporalité multiples, un paysage sur lequel se superpose plusieurs temps, le temps géologique, le modelage fait par les hommes des siècles précédents, le modelage actuel ».
Comment une mise en réseaux des terroirs du monde peut-elle apporter des réponses aux défis que vit l’humanité ? Ces deux journées ont suggéré de nombreuses propositions : outils à mettre en œuvre en commun, comme une plate forme d’échanges pour capitaliser et transmettre les expériences, travail de lobbying pour se faire entendre, création de guides de protection des terroirs …
Planète terroir a aussi le mérite, en fédérant des partenaires dans le monde entier, de permettre certaines confrontations, avec cette interrogation : comment mener réflexions et actions communes en se gardant d’uniformiser les problématiques ? Nous avons vu, par exemple, lors de l’atelier « Diversité culturelle et identités locales » qu’il est délicat de mettre sur le même plan les questions posées par un festival de musique traditionnel, créé à Madagascar, et celles que se posent les acteurs de la vie locale dans le Vaucluse. Pour les premiers la culture est envisagée dans son sens anthropologique et ils cherchent à retrouver une identité perdue, pour les seconds la culture est une production artistique.
Ces différentes perspectives se traduisent aussi dans la manière dont est perçue la notion de terroir selon les sociétés. En Europe, elle devient l’expression de la modernité, au delà d’un certain folklore ou du marketing qui s’en est emparé. Dans les pays non-occidentaux, elle peut donner l’impression de retour en arrière, comme le soulignait le représentant de petites coopératives paysannes du Laos, Sengdao Vangkeosay.
Saluées par la présence du ministre de l’agriculture et de la pêche, Michel Barnier, ces rencontres généreuses ont aussi reçu un appui très fort de l’Unesco. La prochaine étape pour le terroir des Dentelles est maintenant sa demande de classement au Patrimoine de l’humanité.

Cécile Mozziconacci, n°14, septembre/octobre 2008
photo: Christophe Grilhé