Le goût: une alchimie infinie

Pourquoi rectifie-ton l’acidité du citron avec du sel au Vietnam et avec du sucre en France ?
Notamment parce que le goût est affaire d’éducation — les aliments ne portent pas en eux-même de « bon » ou de « mauvais » goût — et ses approches peuvent ainsi différer d’une société à l’autre.
D’ailleurs ce que nous appelons goût est en fait la flaveur, l’interaction entre le goût et l’odorat. En fait, 90% de ce que nous pensons relever du goût est lié à l’olfaction, et personne ne sent de la même manière. Mais tout le monde connaît le phénomène du rhume qui supprime toute saveur !
Entre les 20 000 odeurs différentes que nous sommes capables de distinguer et nos 10 000 papilles gustatives, accompagnées de leur millier de « bourgeons » capteurs qui font apparaître ce goût, c’est toute une alchimie subtile qui s’enclenche et se prolonge avec la somesthésie, l’ensemble des sensations que perçoit le corps et qui permet de ressentir le frais, le piquant, le pétillant, le crémeux…. A condition de ne pas avoir à faire à des escalopes en carton pâte ou à des tomates en hiver.
Cette merveilleuse machinerie se fabrique in utero. Les papilles qui apparaissent vers la 8e semaine chez le fœtus sont en état de saliver dès le 3e mois de grossesse. Imaginons ce que perçoit le bébé dans son bain amniotique ! Selon qu’il est né sur les bords du Gange ou en Provence, il s’imprègne déjà du goût du curry ou de celui de l’ail.
Dans cette infinie palette de capacités, c’est la survie de l’individu qui est bien sûr en jeu, car au fond, l’olfaction est surtout utilisée pour nous alimenter.
Elle accompagne aussi la dimension symbolique et émotionnelle qui va inscrire chacun dans sa filiation et dans sa société depuis la première têtée. Grâce à elle, nous apprenons ce qui, dans notre groupe social, est comestible ou pas selon ses croyances et ses valeurs. Répugnance et plaisir nous guident alors selon la manière dont notre société voit le monde. Des émotions que nous allons partager et qui vont nous permettre de nous construire dans la complexité d’une identité.


Cécile Mozziconaci, n°9, novembre/décembre 2007
crédit photo: restaurant Le Mesclun, Séguret.

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